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Ma soirée dans un partouze d’Halloween

Ou le récit de ma première soirée d'échangistes.

Par
Lili Boisvert
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La semaine dernière, à quelques jours de l’Halloween, j’ai été conviée à une soirée masquée. Échangiste. Une soirée Eyes wide shut.

En contemplant l’invitation, des images de longues capes noires, de femmes à poil avec des plumes sur la tête et des accords oppressants lourdement plaqués sur un piano me sont venues en tête.

Mon premier réflexe a été de décliner l’offre. Ce n’était pas ma scène. Et puis j’aurais bien trop peur, s’est tout de suite dit la part sage et prudente de ma personne. Juste avant que la part démoniaque ne prenne les commandes.

J’étais intriguée. Mais d’abord, je voulais m’informer.

J’ai trouvé un numéro de téléphone où appeler. On m’a expliqué à ce numéro qu’il y avait en fait deux soirées auxquelles je pouvais participer. La première, c’était une soirée de type « gang bang », avec la spécificité « participation obligatoire ».

« Qu’est-ce que ça veut dire participation obligatoire? », me suis-je enquise. Ça signifiait, m’a-t-on prévenu sans ambages, que les organisateurs prévoyaient accueillir 200 hommes pour environ 45 femmes, et que tout le monde s’attendait à ce que ceux qui viennent participent.

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J’étais ravie de disposer de cette information. Moi, je voulais une soirée pas gang bang, et pas participation obligatoire. L’homme au téléphone m’a confirmé que si j’allais plutôt à la deuxième soirée, je n’étais pas tenue de faire quoi que ce soit. Mais il fallait que je respecte les règles. On m’a aussi informée que j’avais le choix de venir seule ou en couple.

Les hommes, ça coûte cher

Ça aussi c’était intéressant à savoir, parce qu’étant célibataire, si je décidais d’aller à cette soirée échangiste, je n’aurais personne à échanger. En même temps, je n’avais pas envie d’y aller complètement seule non plus.

J’ai parlé de mon dilemme à un ami qui s’est montré très enthousiaste à l’idée de venir avec moi. C’était parfait.

J’ai changé d’idée lorsque j’ai constaté que le prix d’entrée quintuplait si j’étais accompagnée par un homme.

C’est ce qu’on appelle la loi de l’offre et de la demande.

Et même si on se présentait séparément à l’entrée, lui ne pourrait pas franchir le pas de la porte parce que les hommes seuls n’étaient pas autorisés.

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Il me fallait donc une fille. J’ai pensé à mon amie Dominique. Mignonne, intrépide, célibataire, c’était la date parfaite. Elle était partante pour venir avec moi, sauf que la veille de l’évènement, elle m’a dit qu’elle m’abandonnait pour une soirée de films d’horreur. Chacun ses priorités.

J’ai quand même un peu insisté.

Moi : Please please please!

Elle : Je peux vraiment pas. Mais je suis quasiment déçue, j’étais rendue mindée!

Moi : J’ai trop peur d’y aller seule!

Elle : Ça devrait pas être si pire…

Moi : Ah ouais? Et qu’est-ce que je fais si un couple veut me fouetter?

Elle : Tu dis « pas tout de suite ».

Elle est pragmatique, Dominique.

La cour est pleine

In extremis, de peine et de misère, j’ai finalement réussi à convaincre une autre amie de venir avec moi. Mais celle-ci m’a formellement interdit de mentionner à quiconque qu’elle avait pris part à cette soirée. Je l’appellerai donc Britney pour les besoins de la cause.

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Je nous ai inscrites toutes les deux à la soirée et j’ai aussitôt reçu un courriel de confirmation me signalant qu’étant donné la forte demande pour assister à l’évènement, la capacité de la salle originalement prévue était maintenant outrepassée et que nous devions changer de locaux. Les organisateurs s’excusaient de ce changement, mais puisque je ne savais pas quel était le site original, ma déception était contenue. J’étais surtout étonnée que l’évènement soit couru.

On m’indiquait dans le courriel quel était le nouvel emplacement et on me donnait un mot de passe. Comme dans Eyes wide shut, mais pas très sexy. Un mot de passe qui sonne comme un ticket de parking : P-2495.

Vingt-quatre heures se sont écoulées et le soir fatidique est arrivé. Britney est venue chez moi pour qu’on se costume en mangeant des sushis. Je nous avais acheté des fouets en cuir au sex shop pour compléter nos costumes (dans mon imagination, il y aurait du sadomasochisme et nos fouets nous permettraient de bien nous intégrer au groupe).

On était prête à partir, mais Britney ne se sentait pas très bien. Elle avait mal au ventre. Peut-être à cause des sushis.

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« On peut annuler, Britney. Vraiment, c’est pas grave, on peut annuler », ai-je insisté auprès d’elle, mi-empathique, mi-opportuniste, parce que j’étais prise d’un regain de frilosité et que l’idée de laisser tomber nos masques et de nous installer devant Netflix à la place ne me déplaisait pas complètement.

« Non, c’est correct, ça va aller », m’a valeureusement assuré Britney.

On a sauté dans un taxi et on s’est rendues au lieu indiqué dans le courriel. Quand on est arrivées, il y avait une file sur le trottoir devant le bâtiment. « Qu’est-ce qui se passe ici? », nous a demandé le chauffeur du taxi. « C’est un bar? »

« Oui, c’est un bar », lui avons-nous confirmé, incertaines du degré de mensonge qui sortait de nos lèvres. Après tout, il y aurait probablement de l’alcool.

Une fois le taxi payé, on s’est mises en file avec les autres, on a attendu notre tour et on a donné notre mot de passe. On nous a ouvert la porte, nous avons ajusté nos masques, et là…

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Ça sent drôle ici

Et là je ne peux plus rien dire. Je n’ai pas le droit.

La confidentialité est un principe assez strict de la soirée. Et puisque dans Eyes wide shut, ça ne se passe pas très bien pour Tom Cruise quand il se met à jacasser, je vais m’abstenir de détailler ce que j’ai vu. Vous allez me traiter d’agace, mais ça ne me dérange pas, c’est pas la première fois.

Je peux quand même vous dire ceci : il y avait du sexe. Partout. Beaucoup. Très cru. J’en ai vu et j’en ai entendu. À quelques centimètres de mes oreilles, mais retentissant aussi en échos distants, venant d’autres pièces, d’autres étages. Des râles. Des halètements.

Il y avait du sexe dans la pénombre totale et à la clarté.

Il y en avait derrière des grillages, sur des lits disposés çà et là, mais aussi sur le sol. Et c’était bondé. Je n’avais jamais rien vu de tel. C’était comme dans un film. Je savais que ce monde existait, que ces gens existaient, mais c’était pour moi jusque-là une réalité intangible.

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Il y avait des regards insistants au travers des masques. Il y avait des mains baladeuses. Certaines qui effleuraient subtilement au passage et d’autres, invitantes, qui cherchaient à convaincre les voyeurs de participer à l’action.

À un moment, alors que je m’apprêtais à quitter une pièce complètement sombre que je venais d’explorer prudemment, des mains attachées à un corps non identifiable m’ont attrapé le bras pour me retenir. J’ai retiré mon bras de la prise, mais elles m’ont sitôt rattrapée, sans que la personne à qui elles étaient rattachées ne parle. Je me suis retournée et j’ai dit : « pas tout de suite ». Je ne savais absolument pas à qui je m’adressais à cause de la noirceur – un homme? Une femme? – mais j’ai pu me faufiler à l’extérieur de la pièce.

Je n’ai pas eu peur. À aucun moment pendant que je me trouvais en ces lieux ne me suis-je sentie en danger. L’ambiance était respectueuse. Et la faune était somme toute diversifiée. Britney et moi étions d’ailleurs toutes deux étonnées du pourcentage élevé de personnes que nous trouvions attirantes.

Ah oui, et finalement, il n’y avait pas de sadomasochisme. Nous étions les deux seules munies de fouets. L’art de s’intégrer avec subtilité.

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Nous sommes restées sur place environ une heure, puis nous avons regagné la rue.

Je n’étais pas tout à fait à l’aise pendant notre visite et pas complètement inconfortable non plus. Déstabilisée, mais la curiosité était plus forte que la pudeur.

Pendant que nous marchions dans la lumière des lampadaires à la recherche d’un taxi, je comparais mes impressions avec Britney et je faisais un peu d’introspection. Est-ce que ça m’avait plu comme expérience? Quand même, oui. Est-ce que j’étais traumatisée? Non, assurément. Est-ce que je recommencerais?

Pas tout de suite.

***

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