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Je suis devenue la grosse voisine

Par
Mélanie Couture
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Je suis devenue mon ancienne grosse voisine. Celle qui allait au dépanneur habillée en mou. La madame qui portait la bedaine sous le chandail et une fois passé dix-neuf heures, lâchait ses seins lousses sous le logo écaillé d’un vieux t-shirt.

“C’est dégueu, a pourrait s’aider! Son mari doit tellement pu la toucher!”, pensais-je avec mes 14 ans de vie sous la ceinture.

À 38 ans, je réalise que c’est exactement ce qu’elle faisait. Elle s’aidait.

Elle lisait sur son balcon, les seins libres de bonnet, promenait le chien et étendait son beau linge, vêtue de son laid. À la maison, elle slaquait sur le superficiel pour donner du temps de qualité à ce qui comptait. La grosse voisine payait son hypothèque, avait la tête à spin, les jambes engourdies et courait après sa vie tandis que moi, dans toute mon arrogance d’ado, je la critiquais pensant que l’objectif primaire d’une femme de 40 ans, c’était d’incarner un objet permanent de désir.

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C’était pitoyable de la juger quand, en secondaire 2, mon plus grand stress se résumait à mettre assez de parfum Exclamation pour attirer l’attention de Simon. J’allais toujours aiguiser mes crayons dans l’espoir qu’il me remarque en laissant derrière moi un corridor d’Exclamation. Il m’a jamais adressé la parole mais pour exclamer, j’exclamais. Avant d’entrer dans le cours, j’en mettais 6 pushs quand j’aurais simplement pu marcher dans le nuage qui planait en permanence dans les toilettes des filles. On devait être 200 à le porter.

Deux pushs dans le cou, un entre les seins, un sur chaque poignet et je terminais avec un dans les cheveux. Mon lunch goûtait l’parfum. Je scrapais ma sandwich température casier, pour un prépubère aux cordes vocales qui émettaient le même son qu’un violon moisi dans les mains d’un enfant de quatre ans. Croiser mon moi de l’époque, je me sacrerais une claque en arrière de la tête.

Aujourd’hui, je sais que la grosse voisine manquait probablement de temps et de sommeil, mais surtout, qu’elle ne manquait pas d’assurance.

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Dans une société qui mise sur l’apparence plus que les compétences, ça prend du guts pour amener ses enfants au parc en sentant la truite post-souper. Ça prend du cran pour se pointer avec des babouches qui laissent paraitre tes orteils au vernis décapé devant des parents “Colombia/North Face/je fais l’ascension de monts dans mes temps libres”. Ça prend une armure en dessous de ton coton ouaté pour te foutre du jugement des autres…. Et parfois du rhum. OHHHH OUUUUI, Capitaine Morgan ne crée pas la confiance, mais il aide à faire shiner ton armure le vendredi soir quand ta confiance a sa semaine dans l’cul.

Au moment où j’écris ces lignes, j’ai assez de confiance pour avoir la certitude que la grosse voisine se massait le cuir chevelu avec de la poudre pour bébé au moins une fois semaine, et qu’elle passait la balayeuse encore moins souvent, parfois même jusque dans son bain pour se faire accroire qu’elle l’avait lavé. Qu’elle se foutait de sa manucure, que son char sentait tout sauf le new car et que si elle enfilait son costume de bain sur un coup de tête, les voisins se seraient surement crus à Woodstock. Mais elle le faisait pareil.

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Elle le faisait parce que ça prolongeait son espace-temps qui lui servait au bonheur. Elle préférait être heureuse que de le paraitre. Ça lui donnait trente précieuses minutes supplémentaires de dodo, OU trente minutes pour aller jouer avec ses enfants qui en avaient rien à foutre qu’elle sente la truite, OU trente minutes pour faire l’amour avec son homme qui la touchait habillée en mou, comme en dur, comme en toute nue, et qui trippait juste à l’idée de pétrir ses gros seins libres.

La grosse voisine n’existait pas pour être baisable; elle vivait moins parfaite pour avoir le temps et l’envie de baiser.

Mes sincères excuses, madame la grosse voisine.