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Journée pédago au secondaire. Mon fils aîné est chez son père, mais il doit transférer chez moi vers le milieu de l’après-midi. J’appelle pour lui dire que je m’en viens le chercher. “J’ai mon manteau sur le dos, sois prêt, je suis là dans même pas dix minutes”.
Rien qui vaille d’en faire une intro de billet, jusque-là? Pourtant oui. Parce que mon manteau, là, ce n’est pas sur mon dos qu’il était, mais bien accroché sur son cintre dans le garde-robe. Je me suis sentie bête d’avoir ainsi menti à ce grand truc maigrichon sorti de mes entrailles il y a une douzaine d’années. Je dis à mon fils “Prépare-toi j’arrive”, que je lui dise que j’ai mon manteau sur le dos ne changera rien à sa vitesse de préparation.
Pourquoi, alors, ce mensonge?
Autre exemple (bête et ridicule) tiré de ma vie. Je trouve une coloriste qui travaille chez elle et qui charge pas cher. Avant, mon coiffeur s’occupait aussi de ma couleur. Je lui explique : “Elle habite tout près de chez moi, c’est plus pratique.” C’est logique de changer pour une coloriste près de chez soi, on se camoufle la grisaille plus souvent qu’on se fait couper la couette, non? C’est logique, mais faux. Avec le trafic, il me faut une demi-heure! Après, ma sœur Hélène, qui voit le même coiffeur, me pique aussi ma coloriste (elle fait tout le temps ça!), et je me trouve dans la situation farfelue de devoir appeler ma sœur pour lui demander de mentir sur l’endroit où habite la coloriste. Cela frise (haha!) le grotesque.
Ces deux exemples entrent dans la catégorie que j’appellerais “mensonges réflexes”. Ceux qu’on dit sans même y avoir réfléchi, pis qui sont tellement bêtes, que c’est délicat de rectifier ensuite : hon, scuse, je viens de mentir, en fait, la coloriste habite à l’autre bout du monde, j’ai dit ça parce que ça me tentait pas de me justifier. On les utilise pour se simplifier la vie, alors que souvent, ça n’a pas cet effet-là. Mon coiffeur me revient chaque fois avec “Ah oui, c’est vrai, tu en as trouvé une qui habite près de chez toi.” Et moi, qui avais oublié mon mensonge niaiseux, je dois me recomposer une face, et reprendre chaque fois la décision de mentir. Je vais devoir changer de coiffeur, je pense.
Pourtant, dans la vie, je suis quelqu’un qui prône la vérité.
Qui trouve important d’oser plonger dans le “vrai”, avec tous les risques que ça comporte, parce que le mensonge, c’est tellement lâche, blablabla. Et je mens presque comme je respire. Tiens, prenons la dernière phrase. C’est clairement une exagération, je ne mens pas tant que ça au quotidien. Mon ami Martin dit toujours qu’il ne faut jamais laisser la vérité entraver une bonne histoire. Donc, selon lui, le mensonge par souci de divertir l’auditoire, pour s’extirper de l’ennui de nos vies, serait acceptable…
Je suis plutôt d’accord avec ça. Quand quelqu’un me divertit, je m’en fous un peu de savoir si les détails sont traficotés. Sauf s’il y a quelqu’un de sali au passage. Je n’ai rien contre le fait de “divertir par le bitchage”, mais dans ces cas-là, je veux du vrai.
J’ai essayé, en bonne sociologue que je ne suis pas, de faire une liste des raisons qui nous portent à mentir. En voici quelques-unes. Il y a évidemment les très nombreux mensonges pour obtenir quelque chose. Ceux de simplification (parce que la vérité est juste trop complexe ou a carrément les apparences d’un mensonge). Ceux pour améliorer son image. Parfois on ment pour protéger l’autre. Ce mensonge-ci en particulier a ses partisans. Je peux comprendre, mais il faut pas se faire pogner, parce qu’alors, tout l’effet est perdu.
Il arrive aussi qu’on se fasse accroire qu’on ment pour protéger quelqu’un, mais qu’en fait, on cherche plutôt à se protéger soi-même – de la confrontation, de la mauvaise opinion qu’on pourrait avoir de nous, d’avoir à vivre un malaise.
Dans le dernier cas, on se ment sur les motifs de son mensonge. Parce que, oh que oui!, on se ment aussi beaucoup à soi-même. Sur des milliers de choses (combien de fois est-ce qu’on se bluffe sur nos motivations – qu’on perçoit plus généreuses qu’elles ne le sont – pour se maquiller le portrait?).
Et puis, il y a les ô combien connus mensonges de séduction.
Qui font tellement leur effet! Alors que la vraie de vraie sincérité, me semble, est si séduisante.
Non? Peut-être pas tant que ça, au fond.
Une fois, un amant m’a dit que j’avais un corps d’adolescente. J’ai dit : “T’exagères”. Il a répondu : “C’est vrai. Mais j’aime que la vie ait laissé des marques sur ton corps.” Il m’a fallu quelques secondes pour me remettre de cet accès de franchise. Mais, tout compte fait, ça m’a paru séduisant, qu’il ait osé.
Certains disent que les mensonges ont un sexe, les hommes mentant plus que les femmes. Hmmm? Je trouve ça un peu déprimant. Mais allez lire ça, vous m’en donnerez des nouvelles.
Tout ça pour dire que, le mensonge, j’ai ben de la misère avec ça. Sauf que… Ça fait tellement partie de nos vies, que des fois, je me dis que ce serait peut-être plus simple si j’arrivais à accepter qu’on ne sait jamais tout à fait à quoi s’en tenir. La frontière entre la vérité et le mensonge est parfois si mince, il y a de fortes chances que tous mes meilleurs amis m’aient un jour menti. Et moi de même.
La liberté de mentir ne vient-elle pas avec la liberté de parole?
N’empêche, j’ai encore de la misère avec ça. Je me dis : il faut que tu en reviennes, Bri. Même si tu pouvais rentrer dans la tête des gens, tu n’arriverais sans doute pas à démêler les fils du vrai et du faux.
La plupart des gens vivent bien avec cette idée : le monde ment, tout le monde, faut pas en faire tout un plat, parfois, le mensonge est le meilleur des deux maux… Et il y a aussi mon ami Martin, qui lui, est incapable de déroger à la vérité, c’en est presque une maladie. Parfois, c’est rassurant, on sait qu’on a toujours l’heure juste, mais ça arrive que ça crée de gros malaises en société – je vous conterai ça une autre fois. On aime ben ça, la vérité, mais quand ça fait notre affaire!
Bon, sur ce, je pense que je vais continuer mon travail d’acceptation du mensonge. D’ailleurs, ne dit-on pas que parfois, le mensonge exprime mieux que la vérité ce qui se passe dans l’âme. Ouain.
Brigitte, des RoseMomz
PS : Je vous avoue ici, dans un souci de transparence, avoir piqué le titre de mon billet sur un site Internet.