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L’appart jamais barré

Par
Rémi Bourget
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Quand j’étais au Cégep du Vieux, y’a une quinzaine d’années de ça, chu atteri dans un appart vraiment dégueux sur la rue Wurtele, juste en haut d’Ontario. C’est pas officiellement dans Hochelag, mais ça fait partie de sa zone d’influence.

C’était dans un genre de no man’s land, entre un mur aveugle pis une track de chemin de fer.

Le coloc que j’avais dans ce temps-là devait pas passer plus que 30 minutes de sa semaine à jeûn. Ça fait qu’il oubliait toujours de se faire un double des clés. Pis après un bout de temps, on s’est comme habitué de jamais barrer la porte. C’était avantageux, parce qu’on aurait eu tendance à oublier nos clés assez souvent (vu qu’on était presque jamais à jeûn).

Après un boutte, tous nos amis savaient que la porte de chez nous était jamais barrée, ça fait qu’y se passait ben des affaires dans c’t’appart-là.

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Le héros improbable

Dans ce temps-là, on avait notre chum Trudel qui avait tendance à nous emprunter ben des affaires. Pis comme y’était lui aussi presque jamais à jeûn, on revoyait pas souvent les affaires qu’il nous “empruntait”. Je compte plus le nombre d’affaires que j’ai perdues à cause de lui: des CD, du linge, même une perruque de ma mère! Pis à chaque fois que je le revoyais, il me regardait avec un grand sourire niaiseux étampé dans face qui fait que j’arrivais même pas à me fâcher après. Mais après qu’il soit parti, je devenais toujours en criss en me disant “Heille c’t’estie de con là, han! Il est encore parti avec un de mes CD!”.

Y’a un matin, il est rentré chez nous pour prendre chais pas trop quoi. Mais ce matin-là, ça a peut-être sauvé le bloc au complet.

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J’explique: fidèle à son habitude, mon coloc s’était réveillé vraiment séquelle. Pis vu que dans ce temps-là, on était trop paumés pour se payer une vraie cafétière (même un modèle vraiment cheap), on se faisait du café avec une casserole d’eau bouillante qu’on versait dans un genre de support à filtre à café installé sur une tasse. Bon, ce matin là, le coloc a parti le rond du poêle pour faire bouillir son eau. Là, on s’est mis à manquer d’électricité. Facque, lui, il a contemplé sa casserole inerte pendant quelques secondes. Pis là, il s’est tourné de bord avant de sacrer son camp de l’appart. Juste de même. Sans fermer le rond, vu qu’il était ben que trop vedge pour penser à ça.

C’est deux heures plus tard que notre Trudel est rentré dans l’appart comme dans un moulin, fidèle à son habitude. Sauf que cette fois-là, y’est rentré après que le courant soit revenu, que l’eau de la casserole se soit tout évaporée, que la casserole soit rendue rouge pétante, pis que le linge à vaisselle accroché au poêle ait commencé à chauffer au point de faire de la grosse boucane sale. Notre Trudel a pas paniqué pantoute. Il a marché jusqu’au poêle, pis y’a fermé le rond, d’un geste assuré.

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Ok, j’avoue que j’étais pas là, mais je suis pas mal sûr qu’on a rarement vu un gars fermer un rond de poêle avec autant d’autorité, dans toute l’histoire d’Hochelaga. En faisant ça, ce gars-là a sauvé l’immeuble d’un incendie certain. Pis vu qu’on était pas du genre à être assuré dans c’temps-là, il nous a sûrement aussi sauvé de la faillite. Ça compense pour les CD pis la perruque, j’imagine.

Le coloc improvisé

Ça arrivait pas mal souvent qu’on fasse des partys dans l’appart. Y’avait tout le temps plein de monde que je connaissais pas qui débarquait chez nous. Aux petites heures du matin, y’avait toujours un paquet de corps morts endormis sur le divan, le tapis du salon, ou même dins escaliers… Une fois, y’avait un dude qui a vraiment exagéré. Genre, il a passé 4-5 jours à dormir sur le divan. Moé, je le connaissais pas pantoute.

Après 2-3 jours, je voulais trouver un moment pour parler au coloc du fait que ça commençait à me taper sué nerfs en estie de voir son ami évaché sur mon divan à chaque matin. Mais le problème, c’est qu’on vivait vraiment pas sur le même horaire pis qu’on était presque jamais assez à jeûn pour se parler. Un jour, je me suis dit: “Là, ç’a pas de crisse d’allure, j’vas y parler à soir, peu importe l’heure”. Ce jour là, j’ai justement reçu un appel du coloc:

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— Allô!
— Heille ton estie de fatigant de chum qui squatte le salon depuis une semaine, tu vas-tu finir par y dire de sacrer son camp??
— Mon chum???? Je le connais pas pantoute ce gars-là, j’étais sûr que c’était ton chum!
— Calice!!

La fin d’une époque

Vu qu’on habitait à distance de marche du centre-ville, ça arrivait assez souvent que des chums débarquent chez nous avec une caisse de 24 avant de sortir et qu’ils reviennent s’échouer sur notre divan ou notre tapis vers 4-5 heures du matin (vu que la porte était jamais barrée).

Un des gars qui faisait partie de cette gang-là me devait de l’argent. Le gars en question avait squatté notre salon pendant un bon 4-5 semaines, avec sa blonde, vu qu’ils revenaient du B.C. et avaient nulle part où aller. Ce gars-là était carrément jamais à jeûn pis sa blonde non plus. Un moment donné elle avait décidé de faire dégeler un poulet. Ça fait qu’elle a mis le poulet dans l’évier, mis le bouchon et parti l’eau.

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Mais ça adonnait que ce jour-là la Ville avait coupé l’eau, facque y’a rien qui est sorti quand elle a ouvert le robinet. Elle est restée plantée là pendant quelques secondes à regarder l’eau qui coulait pas. Pis là, elle s’est tournée de bord avant de sacrer son camp de l’appart. Juste de même. Sans fermer le robinet.

Quand l’eau est revenue, il y avait pus personne dans l’appart. Ça a débordé de l’évier pis, vu qu’on était au 3e étage, ça a coulé partout en bas, scrappé les plafonds pis toute pis toute. Après avoir fait réparé, le proprio m’a swingé le bill que j’avais pas une cenne pour payer. Fait que j’ai dit au coloc de dire à son chum que sa blonde ou lui allait devoir nous rembourser.

Tout ça pour dire qu’une nuit en rentrant me coucher, j’avais remarqué qu’il y avait un reste de 24 dans le fridge et des cadavres de bières partout dans le salon. Quelques minutes après, je dormais, ben relaxe dans mon lit. C’est là que le dude en question a fait irruption dans ma chambre. Lui, il mesurait ben 6 pieds et pesait au moins 200 livres.

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Moi, j’étais rien qu’au cégep, ça fait que je pesais environ 150 livres mouillé. Pis j’étais pas rien que couché, j’étais aussi tout nu dans mon lit. Pis vu que chuis handicapé, j’avais enlevé ma jambe pour dormir. Faque là, j’étais couché, nu, sans ma jambe, dans mon lit, quand un monstre de six pieds 200 livres jamais à jeûn est rentré dans ma chambre en hurlant:

— HEILLE TOÉ MON TABARNAK, DIS PUS JAMAIS QU’ON TE DOIT DU CASH, MA BLONDE OU MOÉ. C’TU CLAIR???
— Ah, oué, oué, y’a vraiment pas de problème. C’est cool, tu peux t’en aller tranquillement là, han.
— TABARNAK D’HOSTIE SI TU DIS ENCORE À QUELQU’UN QU’ON TE DOIT DU CASH, JE VAIS T’ARRACHER ‘A TÊTE, OK!!!
— Heille pas de problème, man. Bonne fin de soirée là. Ah, pis tu diras salut à ta blonde aussi, han. Je suis vraiment désolé… C’est correct, tu nous dois rien, pis ta blonde non plus. Tout est beau…

Pendant que j’aggripais ma couverte de toutes mes forces, le gars a continué de me regarder en respirant aussi fort que la Bête de La Belle et la Bête pendant trente secondes qui ont duré à peu près 3 ans. Pis, y s’est retourné de bord, est allé prendre le restant de la 24 dans le fridge avant de sacrer son camp.

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Le lendemain matin, vers deux heures de l’après-midi, j’ai expliqué au coloc ce qui s’était passé. Pis là, j’y ai dit: “Man, prends mes clés, va chez Canadian Tire, pis fais-toé un double. On va commencer à barrer la porte, là”.

***

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