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C’était bien avant la domination d’Airbnb. C’était aussi à l’époque où je n’avais pas une cenne. Il m’était impossible de payer des chambres d’hôtels et je n’aimais pas trop l’idée de dormir sur les divans de couchsurfers (anyways, je ne parle pas l’espéranto). Ça fait que je suis partie en Europe en me disant que les auberges de jeunesse sauraient m’accueillir tout en étant relativement douces pour mon budget. Ce que je ne savais pas, c’est qu’elles le seraient pas mal moins pour mon innocence.
Avec ma précieuse amie Denise, je m’apprêtais à vivre un premier vrai voyage. Trois semaines : Paris, Nice, Barcelone. Le moins de top de maillot possible, le plus de sorties possible, une accumulation de fun pour célébrer nos vingt ans.
J’écoutais en boucle le dernier album de Phoenix. Je me foutais de tout, j’étais bien et je découvrais tout un monde. Parce qu’on va se le dire : l’auberge de jeunesse, c’est un moyen milieu!
Honnêtement, on en a vu de toutes les couleurs. On a notamment dormi dans la mieux cotée de Paris. Elle était impeccable et on y offrait des spectacles de jazz chaque soir. Tout était parfait, jusqu’à ce qu’au déjeuner, on s’assoie à côté de deux garçons qui buvaient de la bière – à 7hres am – et que l’un d’eux vienne me dire : “Mademoiselle, mon ami vous trouve très belle, mais moi je vous trouve plutôt laide.” Un peu plus tard, un “photographe” m’a demandé de croquer le portrait de mes pieds. Grosse journée.
On a aussi dormi dans l’auberge de jeunesse la plus trash de Nice. Sale comme les mains d’un kid qui mange des Cheetos, avec une douche qui laisse à peine couler un filet d’eau et des dortoirs surpeuplés. On a par contre oublié tout ça quand on a appris que la thématique du mercredi était “party champagne à volonté”.
J’ai passé des nuits à maudire une gang de connes qui écoutaient de la musique en dansant, lumières ouvertes, dans le dortoir. J’en ai passé d’autres à tourner en rond parce qu’un voisin ronflait sa boisson. J’en ai passé à jaser avec des étrangers et à ne rien comprendre à l’accent australien. J’en ai aussi passé une à vomir parce qu’on m’avait probablement droguée.
Faut savoir que dans les bonnes conditions, une fraternité se développe rapidement au sein des voyageurs réunis en auberge de jeunesse. Ce fut le cas à Barcelone. Denise et moi avions rencontré un jeune Russe de Vancouver. Adorable, Igor nous avait prises sous son aile : il nous protégeait dans les clubs, sortant ses yeux méchants quand on se faisait insistant. En échange, on lui procurait divertissement et malaises (comme commander trois bières en catalan, en recevoir trois pichets et finir par chanter du Placebo debout sur un speaker).
Igor et nous formions une équipe de rêve, à laquelle s’était aussi greffée une mannequin danoise. À la fin du séjour, sur la quinzaine de résidents de l’auberge, nous étions une dizaine à sortir ensemble, chaque soir. C’était donc tout normal de répondre “oui” quand le nouveau venu américain nous a demandé “est-ce que je peux venir avec vous?” , un vendredi soir où nous nous apprêtions à arpenter le quartier universitaire de la ville.
Il était arrivé dans la cuisine, comme sorti de nulle part, et ne nous apparaissait pas particulièrement sympathique. Mais bon, pas de quoi le rejeter comme quelqu’un qui a une pneumonie dans un CHSLD.
Alors, on est parti vers notre bar préféré. Sur le chemin, Igor a acheté des roses à un vendeur ambulant. Il nous les a offertes. La soirée était belle. Dès notre entrée dans l’établissement, l’Américain a annoncé qu’il payait une tournée de shooters. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’il y avait le mot “bomb” dans le nom et que c’était un truc flambé. Flambé et bleu. #avoirvingtans
Bref, on l’a tous bu. Et c’est là que les choses ont mal viré. C’était mon premier verre. Denise, me connaissant bien, a trouvé que j’y réagissais étrangement. Lire : je marchais à quatre pattes au sol en disant que je cueillais des fleurs. Je me laissais prendre dans les bras d’étrangers qui prenaient des photos. Je déparlais. Et je n’étais pas la seule à le faire. Une autre fille de l’auberge de jeunesse – appelons-la Stacy – était dans le même état. Nos compagnons sont rapidement passé du rire au sérieux “wtf?”, avant d’appeler des taxis. J’ai attendu le mien couchée en étoile, face première, sur le bord de la rue, trop molle pour me mouvoir. Pour m’y faire entrer, quatre personnes ont dû prendre mes jambes et mes bras, puis me traîner. Ça donne de drôles de photos.
Je ne m’en souviens pas, mais on me l’a raconté : j’ai vomi dix fois en douze heures. En bobettes, dans les toilettes de l’auberge. Paraît que je le faisais parfois à l’unisson avec Stacy, qui était dans la cabine juste à côté – et que ça me faisait beaucoup rire.
Le lendemain, quand je me suis réveillée à midi, trois personnes étaient penchées au-dessus de moi, le regard aussi tendre qu’inquiet. Trois personnes qui avaient veillé sur mon petit corps, toute la soirée, toute la nuit. Trois personnes sans qui, je le crains, les choses se seraient passées très différemment. On a essayé de comprendre mon état. On a eu une petite idée quand on a remarqué que l’Américain, finalement, n’avait jamais dormi à l’auberge de jeunesse…
Trois hypothèses :
- C’était la plus fulgurante et inexplicable brosse de ma vie;
- Je suis allergique au feu;
- Le cave m’avait droguée.
Je n’ai pas de réponse officielle. J’avais autre chose à faire que d’entamer des procédures judiciaires dans un pays étranger que je quittais le lendemain (mais je sais que j’aurais dû). J’ai préféré aller voir Placebo au stade olympique de Barcelone.
Finalement, chanter Every You, Every Me avec la nausée, c’est un peu moyen.
Depuis que j’ai perdu mon innocence dans une auberge de jeunesse
- Je suis persuadée que ceux qui les fréquentent sont dans une très grande majorité d’excellents êtres humains, mais je me méfie pas mal plus de ceux qui s’y imposent.
- Je me demande qui peut ben être assez cave pour vouloir toucher une personne inconsciente, qui vomit. Et quand j’y pense, j’ai envie de me battre.
- Je me dis que je suis crissement bien entourée et je déprime quand je pense à celles qui le sont un peu moins.
- J’ai mal au cœur dès que je vois un truc flambé. Sauf une guimauve sur le bord d’un feu – parce qu’avoir envie de violer sur du Paul Piché, je ne pense pas que ce soit possible.