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C’était au printemps 2012. Je revenais d’une ixième manifestation nocturne et j’étais en crisse. Les policiers nous avaient encore garroché des bombes assourdissantes au-dessus de la tête, du gaz dans les yeux et de la haine dans le coeur. Je rentrais vers mon 3 et demi en les maudissant.
C’était la première fois que j’habitais seule. J’avais longtemps craint de le faire, souffrant d’une peur complètement irrationnelle : avec personne d’autre dans la maison, un méchant voudrait probablement y entrer. Sûrement un dude louche qui volerait tous mes objets de valeur (mon iPhone3 et ma bibliothèque antique en bois), avant de me trancher la gorge en chantant du Eminem.
À ma défense, j’ai un shitload de frères et sœurs. J’ai toujours partagé ma chambre. Chez moi, la solitude n’a jamais été très naturelle. C’est pour ça qu’aussitôt le nid familial quitté, j’ai enchaîné les appartements remplis de colocataires – avec tout ce que ça comporte de fun et de désagréments.
(J’en profite pour saluer l’amante de mon ancienne coloc, celle qui, pendant un souper, nous a révélé avoir 27 personnalités différentes dans un même corps… Allô! Sache qu’à cause de toi, j’ai déjà dormi avec un couteau.)
J’ai aussi transformé des appartements en petits nids d’amour pour deux. Là encore, je ne dormais pas seule. Et si j’arrivais à le faire, en cas de force majeure, le feeling de me réveiller toujours vivante après une nuit de craintes m’était si délicieux que je quittais mon partenaire. “Ouin, je viens de réaliser qu’un matin sans toi, c’est vraiment nice. Adieu.”
La prise de pouvoir m’a toujours fait de drôles d’effets…
En ce printemps 2012, je venais d’ailleurs de vivre une troisième rupture. Il était temps de prendre sur moi et de faire le grand saut : j’apprendrais à vivre seule (et à me réveiller sans que ça me donne envie de tout crisser là).
Le petit appartement que j’avais trouvé était parfait. Il était situé au troisième étage d’un immeuble à logements. Le balcon, commun à tous les voisins, était rattaché à un escalier de secours. Il donnait sur ma chambre.
J’ai rapidement appris à ne plus craindre la nuit. Je me sentais enfin en sécurité. À un tel point que, ce soir-là, en rentrant crevée de la manif, j’avais décidé de dormir la fenêtre ouverte. Fuck it, il ne pouvait rien m’arriver de pire que de voir toutes mes valeurs écrasées par une minorité aussi conne qu’autoritaire.
Vous me voyez venir, hein?
À 3h10 am, un cri m’a réveillée. J’ai ouvert les yeux : un homme se tenait devant ma porte. Il hurlait en shakant la rambarde du balcon. Puis il s’est retourné pour frapper contre le haut de ma fenêtre, toujours en criant. Il a regardé à l’intérieur. Il allait entrer.
Moi, dans la vie, je dors nue. Je ne voulais pas nécessairement qu’il le remarque. En larmes, je me suis donc jetée par terre, iPhone3 en main, et j’ai rampé jusqu’à ma fenêtre. Collée contre le mur, j’ai compté jusqu’à trois avant de me lever rapidement et de la fermer d’un coup. Je me suis relancée au sol et j’ai appelé la police, en shakant.
J’aurais marié le gars qui m’a répondu. Monsieur du 911, si tu lis ceci, tu as été extraordinaire. Je t’aime.
– Il y a un gars qui essaie d’entrer chez moi.
– Est-ce qu’il est armé?
– Je ne sais pas, j’ai trop peur pour le regarder.
– Vous n’êtes pas obligée, restez cachée.
– Certain?
– Je ne veux même plus le savoir. Je ne l’ai jamais demandé!
– J’ai peur.
– C’est correct. La police s’en vient.
La police. Celle-la même qui, quatre heures plus tôt, me traitait comme une terroriste. J’avais besoin que ceux qui me faisaient chier depuis des semaines viennent me sauver. Seuls mes bourreaux pouvaient m’extirper de mon pire cauchemar. Oh, l’ironie!
Je n’ai jamais attendu qui que ce soit avec tant d’impatience (et d’amertume).
Ça a pris moins de trois minutes avant qu’ils ne débarquent. Et onze policiers pour maîtriser l’homme qui, finalement, nageait en pleine psychose. Il ne m’avait pas particulièrement ciblée. En fait, il ne savait probablement même pas où il était.
Reste que j’avais raison : dormir seule était une idée de marde.
*****
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. J’ai emménagé avec un futur mari. Et j’ai à nouveau apprivoisé le bonheur d’avoir un appartement vide. Plus encore : c’est devenu une espèce de passion.
Aussitôt que mon chum quitte la maison, j’entame un rituel.
Je commence par choisir un album – quelque chose de triste ou de cochon. À tout coup, je monte le son et j’enlève mes pants. En chantant par-dessus ce qui joue (donc en scrappant une toune), j’enligne le divan. C’est en bobettes que je m’y installe pour lire en buvant, heureuse. Oui, je torche au jeu de la solitude.
S’agit d’une routine que je pourrais parfaitement accomplir quand bon me semble. Pourtant, je l’associe exclusivement à l’exquis du toute-seule. C’est une façon comme une autre de me rappeler qu’une maison vide peut être synonyme de plaisir et pas juste de peur.
Faut dire que mon nouveau balcon est crissement dur d’accès.
Ça doit aussi aider.
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Depuis que j’ai habité seule…
- Je ferme mes fenêtres.
- Quand je croise un policier, mon corps veut l’étreindre, mais ma tête me dit “bof”.
- J’ai l’impression que toutes mes peurs sont justifiées et que je peux vaguement lire l’avenir. Considérant que j’ai une phobie des autocollants, je me demande vraiment ce que le futur me réserve…