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Depuis que je suis pigiste

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Quand j’ai commencé à travailler en télé, à 22 ans, je me suis posé de grandes questions. Notamment :

  • Calvaire, pourquoi pratiquement toutes les animatrices portent une gaine? Y a pas moyen d’avoir un corps qui plie dans ce milieu-là?
  • J’veux-tu vraiment vivre dans l’instabilité pour le reste de mes jours?

Si le premier point me met encore en crisse, j’ai accepté malgré moi le second. J’ai choisi un milieu qui fonctionne à la pige; j’enchaine les contrats, les négociations et les doutes depuis cinq ans. Je suis loin d’être la seule. C’est aussi le cas de plusieurs personnes de ma génération, peu importe le domaine. On est une pas pire gang qui rit quand le pharmacien nous demande si on a des assurances et qui pleure quand le dentiste nous annonce qu’on a besoin d’une greffe de gencive. Je pense qu’on est aussi au moins deux-trois qui aimerait voir un psychologue sur le bras de notre employeur. Mais on ne peut pas, ça fait qu’on s’auto-traite en lisant TPL Moms.

Même si on n’a pas d’enfant.

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Confession : ce qui me fait le plus capoter dans ma situation de pigiste est ma retraite. Ce ne sont pas avec des REER qui rapportent 4 cennes par année que je vais pouvoir me payer un studio avec vue sur la mer dans une gated community en Floride. En fait, je suis convaincue que dès mes 81 ans (je m’attends à travailler jusque-là), je vais devoir vivre dans une van parkée dans un camping. Si je suis chanceuse, ce sera celui de Venise-en-Québec. Dans le pire des cas, celui sur le bord de la 10 à Granby.

Adieu mes paniers de légumes bios! Je vais manger des boulettes Cordon Bleu avec mes chums (un ancien graphiste qui dort dans une tente et une ex-correctrice qui mendie sur une route de campagne). On va se rappeler le bon vieux temps. Celui où on courrait après nos chèques en se disant “au moins je suis libre, je suis mon propre boss et je peux souvent travailler nues boules.”

Mon avenir de retraitée est sombre, mais mon présent n’est heureusement pas tout noir. Faut dire qu’en plus de la possibilité de faire de mon lit un bureau, la vie de pigiste a quelques bons côtés. Elle m’a appris à m’affirmer, à m’imposer, à comprendre ce que je veux au travail, à faire des choix. Je n’ai pas le loisir de ronronner, d’être trop confortable ou de m’enfoncer dans une routine. Je touche à tout plein de trucs. C’est stimulant.

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Je rencontre huit nouvelles équipes de travail par année, ce qui me permet d’aller à huit soupers de Noël. J’ai donc huit fois plus de chances de gagner une paire de billets pour le nouveau show de Mario Tessier.

C’est un avantage non négligeable.

C’est certain que par peur de manquer de travail il m’arrive d’avoir des semaines de 90 heures. En même temps, ça compense pour les jours où je me retrouve devant rien. Jours que je finis par passer à manger des sandwichs au jambon en pleurant.

Des fois, mon statut de pigiste m’isole. Mes amis ne comprennent pas quand je leur explique qu’en tant que recherchiste, je dois absolument passer mon samedi soir à stalker des vedettes sur Internet. Parfois, je rédige le dimanche matin en buvant beaucoup de Gatorade parce que je prends de mauvaises décisions. Et d’autres fois, je dis que je dois travailler pour éviter de déménager des connaissances. Ça passe comme dans du beurre.

Faut savoir tirer le meilleur de la pige.

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À la gang, on va bien finir par se construire un futur doré. Au pire, on partagera notre cannage autour d’un feu. On sera pauvres, mais on aura vécu heureux. Par petits bouts.

*****

Depuis que je suis pigiste…

  • J’ai une comptable et ça me fait sentir vraiment très adulte. J’adore en parler. Je vais surement écrire toute une chronique juste là-dessus.
  • Je suis stressée comme une personne qui prendrait beaucoup de coke, sauf qu’au fond, je n’ai même pas assez d’argent pour en acheter.
  • Je magasine les spots de campings en me disant que ça pourrait vraiment être pire.