“Elle, c’est Rose-Aimée, pis c’est une 6 sur 10.”
Un ami qui m’est très cher m’a souvent présentée de cette manière. Il ajoutait parfois “pis c’est une fille facile”, mais je garde cette portion pour une autre chronique. Tout ça pour mettre une chose au clair : je suis une personne tout à fait moyenne. Je vais citer un de mes ex : “t’es average, mais je me suis quand même déjà touché en pensant à toi.”
Au fond, peu importe que je sois considérée comme attirante par certain.e.s et pas du tout par d’autres. Nonobstant mon apparence, mon attitude ou mon linge, j’ai un vagin. Et selon plusieurs, c’est donc tout à fait légitime de me crier des obscénités quand je marche dans la rue.
Je ne pense pas avoir besoin de vous expliquer que je devrais pouvoir me déplacer sans qu’on commente mon derrière ou qu’on me rappelle que je devrais sourire parce que je suis plus belle quand je montre mes dents et qu’en tant qu’objet dont on peut disposer, c’est mon rôle d’ensoleiller le quotidien de libidineux inconnus.
Je passerai donc outre cette étape pour plutôt jaser stratégies. J’ai expérimenté quelques pistes pour contrer le harcèlement de rue et si aucune ne s’est révélée parfaitement efficace, certaines ont clairement été plus jouissives que d’autres…
Avant, quand un inconnu m’abordait impoliment pour commenter mon existence, je figeais. Je me taisais en espérant pouvoir poursuivre mon chemin sans avoir à subir son insistance. C’était une tactique valable, mais la frustration accumulée m’a poussée à tenter autre chose.
Elle varie selon mon humeur et le degré de danger, mais maintenant, ma réponse ne se fait généralement pas attendre.
D’abord, il y a ma tactique jogging. Quand je cours, j’ai parfois droit à des petits sons d’animaux de la part de passants ou à des “éloges”. J’y réponds souvent avec un finger, parce que quand je cours, je n’ai pas le temps de m’arrêter pour discuter. L’affaire, c’est qu’un “fuck you”, ça fait rire. Je dirais que c’est donc semi-efficace.
Mon deuxième recours est le “franchement” exaspéré – celui-là atteint parfois sa cible. Je me souviens d’un duo de jeunes hommes qui, devant mon air pus capable, m’ont répondu : “On s’excuse, madame. Bonne journée.” Je pense que c’était sincère. Remarquez, la réponse courte n’est pas toujours si efficace. Quand je me suis retournée pour interpeler le monsieur en bédaine qui, juché sur son balcon, ne cessait de me crier des “hey, sexy!”, tout ce que ça m’a valu fut un fier et enthousiaste : “Ici! Regarde ici! C’est moi qui t’a dit ça!”.
Des fois, je pense qu’il n’y a juste rien à faire.
J’ai donc décidé de prendre le problème à la source et de valoriser le renforcement positif. Cinq adolescents d’Hochelaga fumaient un joint sur le parvis d’une église tandis que je marchais vers un avenir prometteur. Quand l’un d’eux a dit à ses amis “checkez-la, elle!”, un autre lui a répondu “come on, laisse-la tranquille.” J’ai pensé flatter les cheveux du petit doux, mais je me suis dit que j’enverrais le mauvais message. Je me suis donc contenté de lui faire le plus beau des sourires, question que ses copains battés sachent que dans la vie, ce serait le gentil qui se rendrait au royaume de l’amour réciproque.
L’éducation, c’est la base.
Reste que ce que j’ai fait de plus agréable, c’est la confrontation planifiée. Récemment, je marchais sur la rue Ontario quand deux employés d’un certain magasin d’électronique sont sortis pour passer des commentaires sur le fait que je suis rousse.
Vêtus de leur habit de travail, dans le portique du commerce.
J’étais tellement surprise par leur manque de professionnalisme que j’ai juste fait de lents “non” de la tête en continuant mon chemin.
Ça me faisait vraiment chier, parce que je planifiais justement acheter un truc précisément dans leur magasin – contrat de téléphone oblige. Je devrais donc aller dans une autre boutique de la chaine pour éviter d’encourager ces idiots.
Quand j’ai raconté ça à un collègue, il m’a plutôt conseillé d’aller les voir pour les confronter.
Je n’aime pas la chicane. J’étais plus ou moins convaincue, mais je me suis laissée gagner par l’idée. Le dimanche suivant, pleine de confiance, je suis entrée. J’ai choisi mon nouvel appareil et je me suis rendue à la caisse. Au moment de conclure le deal, alors que je reconnaissais clairement l’un des catcallers, à la caisse juste à côté de la mienne, je suis passée à l’action :
Moi – Vous savez quoi ? Deux employés d’ici m’ont catcallée, alors que je passais devant le magasin, cette semaine.
Commis – Ok.
Moi – Catcaller, vous savez ce que c’est?
Commis – Oui.
Moi – Ok! Alors, pourriez-vous faire un rappel à vos collègues? Un rappel du genre: c’est sexiste, pas poli et ça donne une mauvaise image à votre commerce.
Commis – …
Moi – Et c’est désagréable. Juste tellement désagréable.
Commis – …
Moi – Je veux dire, je voulais acheter mon téléphone ailleurs, mais on m’a dit que je devais plutôt venir vous dire à quel point c’était nul de leur part d’avoir commenté mon allure. Bonne affaire de réglée!
Le silence dans le commerce.
Les yeux des employés.
Leur regard qui fixait le plancher, comme s’ils espéraient que ce dernier les avale pour les protéger de mon terrible féminisme.
Leur gêne – ou leur honte, fouille-moi, c’pas si important.
Le fun que j’ai eu!
Ma nouvelle réponse préférées aux catcalls: l’humiliation publique.
Je la recommande à toutes, pour vrai.
Depuis que je réponds aux catcalls…
- L’harcèlement de rue n’a pas diminué et il me fâche toujours autant.
- Je cultive un côté passif-agressif de ma personne qui n’aidera probablement en rien ma santé mentale.
- Au moins, je vis parfois des instants libérateurs sur le dos de gens qui n’ont absolument rien compris au vivre ensemble. Ça vaut ce que ça vaut.
- Quand ils me croisent, les employés d’un certain magasin d’électronique regardent le sol plutôt que mes fesses – tout à fait moyennes.