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Comment j’ai échoué à obtenir un rendez-vous galant avec la caissière du Omer DeSerres
Bon, avant toutes choses, laissez-moi vous certifier que tout ce qui suit est absolument vrai; pareils labyrinthes de merde ne s’inventant tout simplement pas. En fait, avant d’aller plus loin dans cette fable d’une tristesse infinie, j’aimerais tout de suite mettre quelque chose au clair pour votre propre bénéfice: je suis tout simplement maudit. Maudit, les dieux de l’Olympe sont contre moi, Yahvé m’a abandonné, je suis victime de la colère de Ra, les vents du destin me soufflent la peste bubonique de la malchance sur la tête, bref on dirait que je suis incapable de voir s’écouler vingt-quatre heures sans qu’une situation totalement pitoyable, de laquelle j’émerge en ayant l’air d’un plouc légendaire, me tombe dessus. Histoire d’alléger le récit, baptisons tout ceci: «ces moments typiquement Charles Beauchesne». Je sais, ça sonne complètement mégalo, mais dites-vous que c’est un peu comme donner son nom à l’iceberg qui a fait couler le Titanic, pire renommée ever…
Anyway, ce qui distingue principalement «ces moments typiquement Charles Beauchesne» de la bonne vieille loi de Murphy (la toast et la confiture, tout le monde me suit?), c’est que si l’une (Murphy) stipule que: “Tout ce qui est susceptible de mal tourner, tournera nécessairement mal”, l’autre (Beauchesne) m’a démontrée, hors de tout doute, que tout ce qui va (inévitablement) mal tourner pour moi réussira invariablement à revenir me surprendre une dernière fois en se transformant en spectacle de clôture du festival de la pluie d’urine.
Sur ce, place au théâtre («place au théâtre motherfuckers» pour les plus jeunes)…
Nous sommes en l’an de grâce 2010, j’avais décidé d’aller faire un tour chez Omer DeSerres histoire de m’acheter le matériel nécessaire à m’adonner à une folle aventure de scrapbooking. Fouillez-moi, je sortais directement d’une relation amoureuse particulièrement shakespearienne et je règle mes problèmes comme une ado gothique de seize ans. Jusqu’ici, tout allait pour le mieux, le parking avait été d’une facilité déconcertante, à tel point que je tentai follement de défier les dieux du parcomètre en y déposant un grand total de sweetfuckall, parce que de toute façon “Je rentre pis je sors, qui reçoit une contravention en l’espace de cinq minutes, c’est quoi les chances?”
Excellente décision, sale imbécile…
Je pénétrai donc dans le Vatican du papier construction, et en l’espace de quelques “Voyons viarge, sont où les criss de commis? À qui il faut que je fasse une fellation pour avoir du glitter pis un bâton de colle Pritt maudit bâtard?”, je me retrouvais en file à la caisse parmi toute une panoplie d’individus impatients de payer, visiblement de très mauvais cadeaux de noël (sérieusement, un poney en peinture à numéros? Aussi bien fesser sur le crâne de vos enfants à grand coup de tuyau de salle de bain pour leur enlever toute trace d’imagination…). Or, alors que j’étais à deux madames célibataires d’âge avancé ayant depuis longtemps abandonné le projet de fonder une famille de sacrer mon camp chez nous, je l’aperçus…
C’était, nul autre que la plus ravissante fille à la caisse d’un magasin de fournitures de bricolage de l’histoire de tomber amoureux aléatoirement d’un commis qui se force à sourire parce que son shift peut pas finir assez vite. Imaginez-la comme vous voulez, je ne lui rendrais pas justice, les gens me disent souvent que j’ai tendance à fléchir pour des filles avec des tronches de grosses poupées de porcelaine, ou encore des lunetteuses excentriques aux traits de rongeurs, je n’imposerai ça à personne. Toujours est-il que, j’ai eu à ce moment précis, un de ces moments d’épiphanie de gars qui écoute secrètement beaucoup trop de comédies romantiques, persuadé que j’étais probablement à une histoire d’amour abracadabrante de raconter tout ça à mes enfants pour leur enseigner les vertus du “rien n’arrive sans raison”, “le bonheur est à un coin de rue” et toute cette fantastique bullshit que l’on appelle l’espoir. Brièvement, je me remémorai les conseils de quelques amis désireux que je «rembarque dans la game» pour cause de “pauvre Charles, la solitude est en train de le détruire, un de ces jours on va clairement le retrouver mort chez lui après deux semaines parce que la télé était trop forte et ça commençait à sentir” :
“Qui n’essaie rien n’a rien, Charles!’
“Le bonheur est à la portée de qui veut bien s’en emparer, Charles!”
“Si ce jour-là je n’étais pas allé parler à Rachel… Blablabla, je me remercie d’avoir pris une chance… Blablabla, encouragements proactifs… Blablabla, regarde à quel point tout va fucking bien pour moi…”
Très bien! Vous avez gagné, fantômes de chums de gars, je vais m’essayer! Plusieurs options s’offraient à moi. Je pouvais :
- Tenter de lui faire comprendre le plus efficacement possible que je la trouvais de mon goût… Devant tout le monde, en payant pour du glitter et de la colle Pritt, suite à quoi elle allait vraisemblablement appeler l’institut Pinel pour malades mentaux dangereux.
- Attendre dix minutes qu’elle ait fini son shift pour aller l’intercepter à sa sortie du magasin et ainsi réussir à avoir l’air totalement “silence des agneaux”.
- Trouver un bout de papier et un crayon dans un magasin spécialisé dans l’art d’avoir exactement toutes ces choses, et en profiter pour lui glisser subtilement mon numéro de téléphone suivi d’un message aussi sexuellement inoffensif que possible.
Aussitôt dit, aussitôt fait, je simulai un « Oh shit ! Je viens de me rappeler que je viens d’oublier un élément clairement essentiel à mon bricolage! *clin d’oeil* » et parti en quête de quoi que ce soit qui allait me permettre de lui laisser mon numéro.
Quoi??? Quinze piasses pour un paquet de quatre plumes-feutres? J’ai l’air de quoi, J.K. Rowling? Naturellement, le papier ne se vend qu’en gigantesques carnets de Charles Aznavour dessine des femmes nues dans les années 50… Les crayons de plomb sont pas préalablement aiguisés, no way que je paie pour un taille-crayons au 21e siècle… Pourquoi tout doit être obligatoirement un enfer! Maudit sois-tu Omer DeSerres, toi et ta stratégie de vente super profitable sur des articles que pratiquement personne n’achète! Au diable! Ça va être un cas de : gros marqueur noir qui corrompt l’air de vapeurs chimiques dommageables pour le cerveau à des kilomètres à la ronde sur morceau de papier déchiré en toute illégalité dans un journal intime de chevaux qui courent. À un moment donné…
Je réintègre donc la file de la caisse à deux minutes de la fermeture, pour réaliser avec horreur que, désireux d’en finir au plus vite avec cette journée, quelque haut-gradé du magasin avait décidé d’ouvrir une seconde caisse question de passer tout le monde le plus vite possible en divisant la file au rythme de “Vous pouvez payer ici monsieur!” Je me retrouvais donc avec 50% des chances de tomber sur la bonne caissière, et malheureusement ce n’était pas tout à fait comme si j’allais avoir le luxe de leur expliquer qu’il fallait absolument que j’aille à celle de droite pour donner mon numéro de téléphone à un de leurs employés avec qui j’envisageais éventuellement d’avoir des relations sexuelles… S’en est donc suivit un moment de pure angoisse, au fur et à mesure que je me rapprochais de la croisée des chemins, à savoir si le synchronisme des deux caissières allait me permettre de possiblement avoir une chance de laisser mon numéro à une fille probablement intéressée si elle n’était pas déjà possiblement avec quelqu’un… Dire que tout ce que je voulais c’est faire du scrapbooking… Comment j’ai pu en arriver à vivre volontairement un voyage dans l’enfer des statistiques!
Tout n’est pas perdu! Si jamais cette vieille dame qui prend huit mille siècles à chercher son change dans sa bourse de personne agée à motif de chaton qui joue avec une papillon retarde encore suffisamment la caissière de gauche, celle de droite devrait réussir à régler la facture de ces deux adolescents qui achètent des quantités alarmantes de solvant à peinture “pour passer une bonne soirée” juste à temps pour que victoire soit mienne! Allez vieille madame! Pour une fois que j’ai la possibilité de tirer profit du fait que les aînés vivent dans un monde qu’ils ne comprennent plus où tout est trop rapide pour leurs facultés en déclin, ne me laissez pas tomber!
Aujourd’hui encore, je m’explique mal le coup de dés des courants arbitraires du destin ayant permis un tel miracle, mais je réussis… C’était un signe! Tous les événements qui m’avaient amené jusqu’ici avaient été savamment orchestrés par Cupidon! Sans attendre, je déposai tout mon matériel sur le comptoir et glissai, comme si rien n’était, mon bout de papier imbibé de feutre toxique qui pue le fleuve chinois en sa direction… Qu’elle chiffonna machinalement sans regarder avant de l’envoyer à la corbeille. Évidemment… J’avais de toute évidence omis la possibilité qu’en fin de shift, s’empressant de se débarrasser des derniers agrès à hanter magasin, son premier réflexe face à un type qui lui tend un morceau de papier barbouillé de feutre qui pue sans effectuer de contact visuel, allait TRÈS PROBABLEMENT être de penser que je lui glissais mes déchets!
-Ça va être 56,37$
-Euh mademoiselle c’est parce que…
Quoi, Charles? Vas-y, je t’en prie! J’ai bien hâte de voir comment tu vas lui expliquer d’aller se mettre les mains dans une grosse poubelle corporative pleine à rebord de toute la chiotte accumulée d’une journée de Omer DeSerres, pour tenter de repêcher une boule de papier semblable aux soixante-quinze milliards d’autres morceaux de papier à l’intérieur, question de te quémander un rendez-vous avec une étrangère exaspérée. Vas-y! Ce plan est sans faille! Imbécile…
Au point où on en est, j’imagine que vous commencez à comprendre ce j’entendais par “ces moments typiquement Charles Beauchesne” ? Le pire c’est que jusqu’ici, tout était plus ou moins habituel. En fait, c’est surtout la contravention pour stationnement impayé qui m’attendait derrière mes essuie-glace qui m’a finalement poussée à soupirer : “Évidemment…”