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Lorsque Nicole Pino décrit l’accouchement de son deuxième enfant, on pourrait facilement croire qu’elle exagère, ou pire, qu’elle fabule. Accoucher, c’est censé faire mal. Très mal, même. Autant que si un éléphant vous écrasait le ventre selon la légende de la savane africaine.
“Je me sentais comme une déesse. C’était beaucoup plus fort qu’un orgasme sexuel. C’était comme si je n’avais plus de corps, comme si j’étais un canal d’énergie.”
Malgré tout, Nicole affirme avoir visité le Nirvana (le concept spirituel hindou, pas le groupe de grunge). Rien de moins. “Lorsque c’est arrivé, tout s’est passé très rapidement. Quand j’avais une crampe, ce n’était pas douloureux et lorsqu’elle relâchait, je commençais à avoir du plaisir, raconte Nicole Pino. Je trouvais ça étrange, ça me gênait. On me demandait si ça allait, je répondais que oui et je partais à rire.”
Sur le coup, Nicole Pino a ressenti du plaisir comme jamais auparavant. Mais elle a aussi ressenti de la honte. C’est pourquoi elle a préféré caché ce qu’elle vivait à la sage-femme, qui l’accompagnait lors de l’accouchement.
Et elle aura peut-être bien fait puisque, durant les trois années qui ont suivi, chaque fois qu’elle a raconté son expérience, on l’a prise pour une siphonnée du bocal. La vérité, c’est qu’elle-même ne savait pas que c’était possible d’avoir des orgasmes en accouchant.
Ça, c’était avant la sortie du documentaire Orgasmic Birth — The best kept secret.
Le gros secret
Debra Pascali-Bonaro est doula, professeure en techniques d’accouchement dans différentes universités américaines et mère de cinq enfants.
En 2008, elle a réalisé le film Orgasmic Birth — The best kept secret, dans lequel 11 femmes partagent ou expérimentent l’accouchement orgasmique. On y voit aussi une douzaine de spécialistes (obstétriciens, sage-femmes, pédiatres) expliquer différentes méthodes pour ressentir du bien-être durant l’accouchement.
Lorsque Debra a réalisé son documentaire sur les naissances orgasmiques, c’était pour dire aux femmes que ça existe et pour tuer la honte qu’elles éprouvent généralement quand elles l’expérimentent. “J’espérais ouvrir une discussion sur le sujet, explique-t-elle. Je voulais aussi que les femmes soient au courant de leurs différentes options, lorsque vient le temps de l’accouchement. Si on ne connaît pas ses options, on n’en a finalement aucune.”
Parmi ces options, il y a, oui, l’accouchement orgasmique, mais il y a aussi les naissances naturelles, à la maison ou dans un centre de maternité, ainsi que l’hypnonaissance, qui fait son chemin petit à petit.
La présidente de l’Ordre des sages-femmes du Québec (OSFQ), Marie-Ève St-Laurent, n’hésite pas une seconde lorsqu’on lui demande si c’est possible de “se sentir comme une déesse” durant un accouchement : oui, ce l’est. “La douleur n’est pas la seule option; ça peut aussi être plaisant.”
Elle ajoute que certaines sages-femmes au Québec ont assisté à des naissances orgasmiques. Afin de calmer les passions, elle insiste toutefois sur le fait qu’un accouchement sans douleur, “c’est très très rare”. Elle n’a pas ajouté “comme de la marde de pape”, mais on sait qu’elle le pensait.
Debra Pascali-Bonaro ne promet pas la félicité à toutes celles qui le désirent, non plus. “Si on se fie à la définition du dictionnaire, l’orgasme est une sensation de plaisir particulièrement intense, dit-elle. Ce plaisir, nous pouvons l’expérimenter de différentes façons. En mangeant, par exemple. Et c’est pour cette raison que chaque expérience est unique pour une femme.”
Même Nicole Pino, qui a connu l’apothéose du plaisir “sexuel” durant la naissance de son deuxième enfant, préfère parler d’accouchements “extatiques” plutôt que d’accouchements “orgamisques”.
Non parce qu’elle minimise ce qu’elle a vécu, mais parce que les témoignages qu’elle a recueillis depuis diffèrent d’une personne à l’autre : la sensation et l’intensité varient, et le mot “extase” revient plus souvent que le mot “orgasme” pour décrire l’expérience vécue.
Accouchement orgasmique : mode d’emploi
Mais l’accouchement orgasmique, comment ça marche ? Tout ça serait le fruit de frotti-frotta et d’hormones. Les mouvements de la tête du bébé sur les parois du vagin et la dilatation des tissus provoqueraient chez certaines femmes une surprenante sensation d’excitation sexuelle. Un peu comme le pénis, quoi.
De plus, de l’ocytocine est libérée — une hormone sécrétée pendant l’acte sexuel et pendant l’allaitement — durant l’accouchement. Sans parler de l’endorphine, une autre hormone responsable du bien-être, de l’excitation, de l’orgasme et de toutes les autres formes de plaisir dans Le Grand Recueil des Sensations.
Toutefois, lorsqu’une femme accouche à l’hôpital, la simple production d’hormones ne suffit pas à ce qu’elle connaisse l’orgasme : l’endroit est aussi stressant que la Bourse de New York.
L’idéal est d’être chez soi, dans un endroit où on se sent à l’aise, avec une ambiance apaisante, voire romantique. Ajoutez finalement des massages, une préparation mentale, une ouverture d’esprit, et la recette commence à être complète. Le yoga ne serait pas à négliger non plus.
Contrairement à une recette de pâté chinois, celle-ci ne fonctionne pas à tout coup. “C’est comme lorsqu’on fait l’amour : si on ne se concentre qu’à obtenir l’orgasme, on ne l’atteint jamais”, rappelle la réalisatrice du documentaire-choc, qui souligne qu’elle n’a pas connu d’orgasme lors de son troisième accouchement, parce qu’elle le cherchait trop.
“Je me sentais comme une déesse. C’était beaucoup plus fort qu’un orgasme sexuel. C’était comme si je n’avais plus de corps, comme si j’étais un canal d’énergie.”
Beurk !
Malgré tout, l’idée de jouir en donnant naissance à son enfant est toujours tabou et continue d’en choquer plusieurs. Suffit de lire certains blogues sur la maternité ou les commentaires suivant des articles sur le sujet pour déprimer sur la nature humaine.
Certains s’offusquent à l’idée que leur mère ait pu “avoir du plaisir en les accouchant”. D’autres affirment que l’idée leur donne le “goût de vomir”. Un autre “a froid dans le dos à imaginer sa mère avoir eu du plaisir à sa naissance”. Certains croient même que l’enfant né dans la jouissance aura “besoin d’un psychologue à l’adolescence”.
De drôles d’idées qu’entend régulièrement Debra Pascali-Bonaro. “Ces propos sont tellement désolants pour les mères! N’est-ce pas préférable que ta mère n’ait pas souffert en accouchant? questionne-t-elle. Nous n’avons pas besoin de la douleur, la nature nous donne un éventail de possibilités. Notre pensée est puissante, nous bâtissons sur ce que nous ressentons et expérimentons.”