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Toute une vie sans te voir

À la mémoire de mon petit schtroumpf moqueur

Par
Invité(e)s des RoseMomz et billets spéciaux
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Patrick, notre collaborateur régulier, nous a fait parvenir ce texte hautement personnel, qu’il hésitait cependant à partager. Après en avoir fait la lecture, et en avoir été profondément touchées, nous avons réussi à l’en convaincre.

La pire chose qui peut arriver à quelqu’un dans la vie, selon moi, c’est de voir mourir la personne qu’il aime après une longue maladie.

La triste blancheur des lumières d’hôpital, la froideur hautaine des médecins, l’odeur de maladies et de désinfectant… Y a-t-il quelque chose de plus triste que de savoir que cet homme autrefois si enjoué, si chaleureux et si énergique risque de finir ses jours dans un lieu si déprimant?

Le désespoir provoqué par les examens chaque fois moins encourageants, la fausse sympathie du docteur qui cherche à nous expliquer sans vraiment le dire ce qu’on a de toute façon déjà compris…

Y a-t-il quelque chose de plus triste que de savoir qu’on peut absolument plus rien faire pour celui qui a donné tellement de sens à notre vie?

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On a presque envie de célébrer quand le médecin nous dit qu’on peut le ramener à la maison, parce que le garder à l’hôpital pour continuer à le bourrer de médicaments et à l’analyser sous tous les angles, ce serait juste de l’acharnement thérapeutique.

On pleure de joie quand on peut enfin passer de nouveau une nuit à ses côtés, même si ses convulsions nous empêchent tous les deux de dormir.

On s’accroche aux petits détails pour pas trop sombrer dans la déprime. À l’étincelle dans ses yeux qui s’est pas estompée. Aux sourires complices qui se forment encore parfois au coin de ses lèvres. À la fois où il a réussi à marcher jusqu’au balcon sans trop d’aide pour profiter du soleil. Au fait que le dernier mot qu’il a dit avant de perdre la capacité de parler, c’était notre nom.

On va se cacher dans les toilettes pour brailler le jour où il garde la bouche fermée quand vient le temps de prendre ses médicaments, qui servent finalement plus à rien. On sait qu’il est conscient de ce qui s’en vient, même s’il est plus capable de le dire. Son regard parle à sa place. On sait même plus si on veut vraiment qu’il les prenne, ses pilules, tellement c’est devenu difficile pour lui d’avaler.

On découvre aussi sur qui on peut compter. Ceux qui passent donner un coup de main, faire le ménage, la vaisselle ou l’épicerie, parce qu’ils savent qu’on est épuisé. Ceux qui nous offrent un lift pour l’emmener à l’hôpital avant qu’on ait à le leur demander. Ceux qui s’arrêtent pour jaser chaque fois qu’ils peuvent, juste pour nous changer les idées, pour nous aider à croire qu’il y a d’autres choses dans ce monde que cette ostie de maladie.

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On apprend à pardonner à ceux qui nous ont pas appuyé, parce que c’est pas tout le monde qui sait quoi dire ou quoi faire dans ces situations-là. Parce qu’on se demande comment on aurait réagi, nous, si c’était arrivé à quelqu’un d’autre, à un ami. Et si on est honnête envers soi-même, on essaie pas de se convaincre qu’on aurait toujours été là quand il fallait.

Un jour, quand son état s’est détérioré au point où il fait juste souffrir, tousser, vomir et cracher du sang, on réussit à trouver le courage de lui glisser à l’oreille – pour pas que sa famille réunie autour du lit nous entende – qu’il peut arrêter de lutter, qu’on est prêt à le laisser partir. Et on se sent tout de suite plus mal qu’on s’est jamais senti de notre vie pour avoir osé dire ça.

Il y a juste pas de mode d’emploi pour une expérience comme celle-là.

On a aucune idée de comment on devrait agir, de ce qu’on devrait faire. Et quand on finit par l’apprendre, non seulement il est trop tard, mais on espère de tout notre cœur que ça nous servira plus jamais de l’avoir appris.

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Une fois les adieux faits et toutes les larmes de notre corps versées, on cherche à oublier les moments difficiles, la détérioration physique, le désespoir, l’épuisement, la douleur, pour se concentrer sur ce qui a fait que cet homme méritait qu’on reste avec lui à travers toutes ces épreuves, sur tout le bonheur qu’il nous a donné en des temps plus agréables. Mais on se sent encore coupable d’avoir parfois douté qu’on avait la force d’endurer tout ça.

On se rappelle ce qu’il aimait, ce qui rendait la vie si belle à ses yeux, et on découvre la joie de faire des choses qui nous ennuyaient peut-être avant, mais qui prennent désormais un tout nouveau sens, un tout nouveau caractère. Les choses qui nous rapprochent de ce qu’il était.

Le temps passe. On refait sa vie. On connaît d’autres gars, on se donne une nouvelle chance, et on se rend compte un jour qu’on a réappris à savourer le quotidien, voire même à être heureux. Qu’on est à nouveau capable d’aimer. On oublie pas, mais on s’habitue et on finit par accepter. Le contraire serait futile.

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Mais toute une vie sans le voir, c’est quand même crissement long. Interminable. C’est ça qui rend triste : l’absence de celui qu’on aurait voulu avoir à nos côtés jusqu’à la fin. C’est pas la nostalgie des moments heureux, vu qu’on recommence à en vivre avec d’autres personnes. C’est tous les souvenirs potentiels qu’on a pas pu accumuler, les joies qu’on a pas pu partager avec lui. Les trop longues années où il a pas pu être là, avec nous, à la place qui lui revenait.

C’est ça qui me fait mal. C’est ça qui me fait vieillir.

En hommage à Véronique Sanson, qui pourra jamais savoir à quel point sa chanson m’a aidé.

***

Pour lire un autre texte de Patrick, invité de RoseMomz : “L’erreur fatale”

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