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Quand j’avais quinze ans, je voulais devenir monitrice de ski alpin, mais surtout me déshabiller dans le vestiaire avant les leçons de ski, je voulais quitter la maison de mes parents, parce que je devinais bien que ce n’étais pas à Repentigny que je pourrais me promener en nuisette sans que ça ne soit rapporté à mon ancienne babysitter ou aux voisins qui n’aimaient pas mon chien.
Quand j’avais quinze ans, je me touchais en pensant à ce que ça devait être, d’être touchée par d’autres. Je faisais une fugue de trois jours dans un sous-sol à Pointes-aux-Trembles, parce que je trouvais ça vraiment courageux, d’être cachée à trente minutes de la maison de mes parents. Je voulais être un personnage de roman, je voulais être baisée, ma peau, mes grains de beauté, la forme de mes lèvres, décrits sur cent pages. Je ne voulais pas écrire, j’étais trop paresseuse, mais je rêvais d’être un personnage sur papier.
De soumise à prédatrice
Quand Lara avait cinq ans, elle, elle a tué son père. Je n’aurais jamais pu être un personnage de roman comme Lara. Lara, elle est violente, explosive, sa sexualité ne se morfond pas, sa sexualité se projette, mouillée, sous la langue frétillante d’une amoureuse, ou les fesses bien écartées par un homme qu’elle compare à une machine à jouir.
Plus solitaire et secrète que les héroïnes de Baise-Moi de Virginie Despentes, Lara partage avec elles une force de prédatrice, une envie de tout écraser, de ne plus rien subir. Elle s’imagine aussi aisément supérieure à tout homme, car pour elle, “un homme est tout entier dans ses couilles, noyé dans le brouillard de ses hormones”. Après n’avoir été qu’un trou pour tout son patelin natal, Lara se sauve de ce qu’elle a dû accepter, soumise à une mère putain et pimp. Elle ne veut plus rien forcer en elle, sauf le sexe, encore le sexe, toujours, choisi, et les mots des livres qui la sauvent depuis qu’elle est toute petite, des livres de chasse, de philosophie ou des classiques de la littérature russe anarchiste.
Une curiosité perverse et contestatrice
Grossière, sanglante, cinglante et tordue, mais plus racée que le personnage principal du délire érotico-politique Poupée, anale nationale d’Alina Reyes, Lara se fouette de ce qui pourrait sembler malsain ou scandaleux.
Provoquée par un amant, elle se questionne sur ce qu’elle a quitté, quand elle a décidé de fuir Branfield pour être quelqu’un d’autre à Montréal. Elle se souvient du corps de son père, du sang, de sa mère, du silence des habitants, mais aussi de ses voisins, des voisins mystérieux qui lui ont appris à lire et à apprécier des toiles de taureaux à la queue bien dressée.
Dans le polar Quand j’avais cinq ans je l’ai tué!, le sexe et la curiosité se rejoignent, la jouissance et le morbide aussi. Lara est animée par l’envie de comprendre et aucune perversion n’étouffera son besoin de deviner ce qui relie à la fois son passé et sa vie de jeune fille plus que libre maintenant.
Sans limite, sans tabou, puisque “sans sexe, un polar est une oeuvre inachevée, une vision tronquée, incomplète de son sujet, une version émasculée ou hystérectomisée de la vie qu’il est censé d’écrire”, le livre de Laurent Chabin propose une héroïne forte à la Lisbeth Salander de la série Millénium, mais dont le plaisir, pervers ou non, serait sa façon de braver les blessures d’un enfant de cinq ans traumatisé et de contester un monde de silence et de normes.
Quand j’avais quinze ans, j’aurais eu peur de Lara, mais j’aurais souhaité en secret qu’elle soit mon amie, pour une nuit d’histoires inventées et de cajoleries.